29

 

 

 

« Cessez de rÔder autour de moi, Grunthor, je me porte à merveille. Jo, fais quelque chose. »

La jeune fille assena une tape joueuse sur la nuque du géant. « Elle vous dit qu’elle va bien. Laissez-la donc tranquille.

— J’suis pas sourd ! » rétorqua le Bolg, indigné. « Ni aveugle, mam’zelle. Z’avez tout du perdant d’une partie de blaireau dans l’sac, duchesse. Il vous a botté le cul, pas vrai ?

— Je vous demande pardon ? lança Rhapsody en feignant de se sentir offensée. Sachez qu’il n’a pas fait couler une seule goutte de mon sang, pas une !

— Pas en surface, confirma Achmed avec un petit sourire en coin. Mais que seraient ces ecchymoses, d’après vous ?

— Oui, eh bien, j’aimerais que vous ayez pu assister à la fin de cet affrontement, rétorqua Rhapsody en écartant une fois de plus la main que le géant tendait vers sa gorge. Allez-vous m’accorder un répit ?

— Si le Patriarche est un guérisseur aussi valable qu’on le dit, il aurait tout de même pu rapetasser vot’ cou, mam’zelle. J’aurais pas demandé mieux, si vous étiez venue me donner un coup de main, sauver mes fesses velues. J’vous aurais au moins administré quelque chose pour calmer la douleur. »

Rhapsody sourit à son ami, touchée par sa sollicitude. « Je ne lui en ai pas laissé la possibilité. En outre, les contusions ont leur utilité. Chevaucher pendant dix jours sans le moindre incident, voilà qui pourrait éveiller des soupçons.

— Ça me déplaît toujours autant. On forme une équipe, vous et moi. À l’avenir, j’veux plus vous voir aller baguenauder comme ça toute seule. C’est compris ?

— Nous verrons. Je n’ai pas l’intention d’aller où que ce soit de sitôt, mais il est impératif que nous mettions une chose au point, nous tous. »

Achmed hocha la tête. Elle lui avait exposé la situation avant l’arrivée des autres et il était informé de toutes ses découvertes. Elle lui avait également fait part de son point de vue sur la situation à Roland, les incursions et la prochaine unification des états cymriens. Il rejoignit rapidement Grunthor pendant que Jo déballait les présents rapportés par Rhapsody. Finalement, lorsqu’ils regagnèrent la table massive, Rhapsody inhala à pleins poumons et croisa les bras.

« J’ai décidé d’aider Ashe », annonça-t-elle.

Jo sourit. Grunthor et Achmed se dévisagèrent.

« L’aider à quoi ?

— À recouvrer son âme. Je compte tuer le démon qui la lui a subtilisée, lui apporter mon soutien et lui permettre de devenir le seigneur des Cymriens, afin qu’il réunifie son peuple.

— N’en jetez plus ! s’exclama Achmed. Pourquoi ?

— J’ai eu dix jours pour approfondir la question, peser le pour et le contre. Après être restée auprès de lui, j’estime que c’est la meilleure des choses.

— Z’avez fait la bête à deux dos ?

— Vous n’êtes qu’un obsédé, Grunthor ! » rétorqua Rhapsody en tendant les mains vers les oreilles de Jo, pour les couvrir.

« Trop tard, j’ai entendu. Alors, il t’a baisée ?

— Non, répondit Rhapsody avec indignation. Qu’est-ce qui vous prend ? Je vous ai tous aidés, à un moment ou à un autre, et je n’ai pas pour autant couché avec un seul d’entre vous.

— J’aurais pourtant pas dit non, ça c’est sûr !

— Silence ! Je m’attends à ce que le Rakshas s’en prenne tôt ou tard à nous, après ce qui s’est passé dans la Maison du Souvenir et notre affrontement dans la basilique. Je ne puis croire que chasser et tuer le F’dor ne soit pas une de vos priorités, Achmed. Je supposais même que c’était inné, chez vos semblables. » Le roi firbolg s’abstint de tout commentaire. « Quant à unifier les Cymriens, je pense que nous devons faire quelque chose en faveur de ceux qui ont les mêmes origines que nous.

— Ce qui m’exempte de cette corvée, déclara Jo en se levant de table. Je viens de Navarne et peu m’importe que les Cymriens soient emportés par la petite vérole. Je vais me coucher. Fais ce que bon te semble, Rhapsody, tu sais pouvoir compter sur moi.

— Merci, Jo. »

Elle lui envoya un baiser comme elle quittait la pièce. Jo n’avait jamais apprécié les interminables discussions politiques.

 

Une décision de s’éclipser que Rhapsody jugea fort sensée au bout de quelques heures. Ils avaient argumenté et débattu sans interruption pour n’arriver à aucune conclusion. Si Ashe suscitait la méfiance d’Achmed, ce dernier se méfiait plus encore de Llauron. Grunthor ne pouvait quant à lui admettre que le Rakshas et Ashe étaient deux entités distinctes.

« Vous dites que c’est pas lui, que c’est seulement un machin qui lui ressemble ?

— Absolument.

— Vous les avez vus ensemble ?

— Non, reconnut-elle. Je pense que, si le Rakshas avait trouvé Ashe, ce dernier serait mort ou – destin bien pire encore – le F’dor se serait approprié le reste de son âme. Tout puissant qu’il soit, Ashe sera confronté à cet élément de lui-même lors de tout affrontement entre lui et le Rakshas. Vainqueur ou perdant, sa damnation est assurée. C’est pour cette raison qu’il se dissimule sous un manteau de brume.

— C’est lui qui vous l’a dit ?

— Non. Je l’ai déduit à partir de mes observations personnelles, de ce qu’Elynsynos et Oelendra m’ont appris et de mes visions.

— Si vous les avez pas vus ensemble, qui prouve qu’il tient pas les deux rôles ?

— Je n’ai aucune certitude. Mais j’ai observé chacun d’eux, j’ai étudié leur façon de se battre. Ils ont des comportements différents.

— Nan… C’est un peu léger, comme argument. J’suis sûr qu’ils font qu’un et c’est tout. Possible qu’Ashe n’en sache rien, mais je parie que le Rakshas est sa "facette maléfique".

— Résumons la situation, dit Rhapsody en essayant de ne pas perdre patience. Il n’y a que deux possibilités. La première, c’est qu’Ashe et le Rakshas sont une seule et même personne, que Gwydion est bien mort et que le F’dor a ranimé son cadavre pour avoir un corps à sa disposition.

— C’est exactement c’que je pense, mam’zelle.

— Si tel est le cas, n’est-il pas étrange que j’aie pu traverser la majeure partie du continent en sa compagnie sans qu’il tente une seule fois de me nuire ? » Elle s’étrangla en se remémorant l’échauffourée pendant laquelle il avait tiré son épée contre elle. « Enfin, à une exception près, mais ça n’a pas été très loin. »

Grunthor ferma à demi ses yeux ambre.

« Ce qui veut dire ?

— Rien. Il s’agissait d’un malentendu. Et il est évident qu’il a tenu tous ses engagements… Il m’a conduite là où je l’avais demandé puis il m’a laissée poursuivre ma route. Un serviteur maléfique et retors du F’dor ne m’aurait-il pas tranché la gorge quand il en a eu l’opportunité, contrariant ainsi la prophétie ?

— P’t’être bien qu’il vous suivait pour se faire une idée de vot’ mission, suggéra le géant. Qu’il vous espionnait pour le compte de son maître. »

Rhapsody ravala son exaspération. « La seconde possibilité, celle qui me paraît la plus plausible, c’est qu’il existe deux êtres séparés : Ashe et le Rakshas. Ashe n’est autre que Gwydion qui, malgré ce qu’en pensent Oelendra et Stephen, est bien vivant ; il a survécu à l’attaque du F’dor. Il erre seul en ce monde, il souffre et tente de se dissimuler pour que ce démon ne puisse pas le retrouver et s’approprier le reste de son âme. Le Rakshas est une entité distincte, une créature assemblée autour du fragment volé par le F’dor. Elle est composée de terre mêlée de glace, ainsi que du sang du F’dor et, sans doute, de quelque bête féroce. C’est en tout cas ce qu’a déclaré la dragonne.

— Elle a jamais dit qu’Ashe n’était pas le Rakshas, non ?

— Non.

— Alors, faut courir aucun risque.

— Que voudriez-vous que je fasse, bon sang ?

— Je suggère de le trucider. Et s’il y a erreur sur la personne et qu’un autre Rakshas pointe le bout de son nez, eh bien, nous l’éliminerons à son tour ! »

Rhapsody blêmit, consciente que le géant ne plaisantait pas.

« Vous ne pouvez pas égorger des gens sans être certain qu’ils le méritent.

— Pourquoi ? Cette méthode m’a toujours réussi. Sincèrement, mam’zelle, c’est bien trop grave pour qu’on s’amuse à prendre des risques si vous êtes pas absolument certaine de ce que vous avancez.

— C’est ridicule…

— Absolument pas », intervint Achmed qui n’avait pas dit grand-chose de toute la soirée, se contentant d’écouter et d’analyser les arguments échangés. Son silence était tel que Rhapsody avait par instants oublié sa présence. « Ce qui est ridicule, c’est votre insatiable désir de faire renaître de ses cendres le monde que vous avez perdu.

» Votre famille a disparu, Rhapsody, mais nous la remplaçons, Grunthor, Jo et moi. Votre ville a été rasée, mais vous vivez ici, parmi les Bolgs. Le roi qu’honoraient vos proches est mort depuis deux millénaires ; les gouvernants actuels et leurs royaumes ne pourraient lui être comparés. Il n’aurait certainement pas mené tant de gens au-devant d’une mort certaine pour un banal différend familial. Ceux qui ont quitté Serendair pour venir ici étaient de bien piètres représentants de notre culture. Ils ne méritent pas que vous la restauriez. Quant à Ashe, pourquoi voulez-vous rétablir des rapports appartenant au passé avec un individu aussi fou que retors ? Sentir souffler le Vent de la Mort vous manque à ce point ? »

Rhapsody en resta bouche bée. « Comment pouvez-vous dire des choses pareilles ? Ashe ne m’a jamais fait le moindre mal, il n’a à aucun moment tenté de me compromettre de quelque façon que ce soit. Il est pourchassé, Achmed… Je pensais que vous, plus que tout autre, seriez sensible à son destin. Le Rakshas utilise un fragment de son être pour alimenter sa puissance. Son âme est soumise aux volontés d’un F’dor redoutable, ce qui signifie qu’il est damné tant dans la vie que dans la mort. La blessure que le démon lui a infligée ne s’est pas cicatrisée, il souffre le martyre. Malgré tout, il ne m’a jamais rien demandé, si ce n’est de le considérer comme un allié. Comment osez-vous le comparer à Michael ? Michael était un salopard de la pire espèce doublé d’un incorrigible menteur.

— C’est le problème que me posent tous les Cymriens, Ashe inclus. Ils mentent comme ils respirent. Dans l’ancien monde que vous avez connu, au moins savait-on qui était dans le camp des divinités maléfiques parce qu’il était d’usage de proclamer ses croyances. Ici, en ce lieu où tout est nouveau et perverti, même ceux qui prétendent être les bons sont des exploiteurs retors. Les démons d’antan n’auraient jamais pu semer un chaos comparable à celui provoqué par les "gentils" seigneurs et dames cymriens. Et vous voudriez vous livrer pieds et poings liés sur un plateau d’argent au plus grand de tous les imposteurs !

— Si je le fais, c’est librement ! s’emporta Rhapsody qui en avait plus qu’assez d’entendre rabâcher de tels arguments. Je suis prête à prendre ce risque et, que je vive ou que je meure, nul ne m’aura imposé ses volontés.

— C’est archifaux ! » Achmed se mit debout très lentement ; ses mouvements nerveux et méthodiques trahissaient sa colère. « Et nous partagerons tous votre funeste destin, car – non contente de mettre votre vie en péril – vous nous privez de notre neutralité. Nous serons tous perdants, si votre adversaire a dans son jeu plus d’atouts que vous ne le croyez. »

Rhapsody le dévisagea. Il avait les yeux brillants et les épaules nouées par une rage dont elle n’avait pas été témoin depuis longtemps.

« Pourquoi tant de haine ? Que je souhaite assister une tierce personne n’affecte en rien la loyauté que je vous porte.

— Il n’existe aucun rapport.

— Permettez-moi d’en douter. » Elle se leva pour aller se tenir de son côté de la table pendant qu’il luttait pour contenir son exaspération. Elle s’assit sur le plateau, en face de lui. « Je suis convaincue du contraire. Et je vous rappellerai que, pour vous aider à accomplir ce que vous désiriez faire en ces terres, je n’ai pas hésité à effectuer bon nombre de choses qui suscitaient pourtant mes interrogations, quand elles ne me révulsaient pas. Mais je les ai faites parce que vous me l’aviez demandé, et parce que vous disiez que c’était juste. J’ai cru en vous. Pourquoi ne devrais-je pas croire également en lui ?

— Parce qu’il ne vous a rien révélé sur son compte. Il a toujours joué aux devinettes, cherché à obtenir des informations sans en fournir une seule en échange. Il n’a pas confiance en vous. Pour ce que vous en savez, il pourrait s’agir du F’dor en personne.

— J’en doute.

— Voilà qui me rassure. Il n’y a pas plus mauvais juge que vous pour évaluer une personne. Vos intuitions sont une fois de plus sujettes à caution. »

La rage fit venir des larmes aux yeux de Rhapsody.

« Comment pouvez-vous dire une chose pareille ? J’ai de l’amour pour vous et pour Grunthor. Combien de non-Bolgs seraient, d’après vous, capables de faire abstraction de votre conduite détestable pour ne retenir que vos côtés positifs ?

— Aucun. Et c’est pour cela que je les considère bien plus lucides que vous. Vous n’avez cessé de vous méprendre sur mes intentions depuis notre première rencontre.

— Qu’entendez-vous par là ? » Rhapsody avait senti son ventre se nouer.

Achmed posa les mains à plat sur le plateau de la table, de chaque côté d’elle, et il inclina son visage à seulement quelques pouces du sien pour la contraindre à regarder ses yeux vairons. « Vous rappelez-vous la première chose que je vous ai dite ?

— Oui, vous m’avez déclaré : "Venez avec nous, si vous désirez vivre."

— Et vous en avez béatement déduit que j’étais disposé à vous aider.

— N’est-ce pas ce que vous avez fait ?

— Vous avez tout faux. J’aurais pu formuler différemment ce que j’avais à dire. N’interprétez pas mal mes propos, Rhapsody, mais… quoi qui ait pu naître entre nous depuis, quels que soient les sentiments qui se sont développés en moi au fil du temps, j’aurais pu tout aussi bien vous lancer : "Suivez-nous ou je vous égorge." Comprenez-vous, désormais ? Vous êtes trop prompte à croire que les gens sont aussi bons que vous l’imaginez. C’est une erreur dans la plupart des cas. Pas plus pour moi que pour Grunthor, et encore moins pour Ashe. Un démon du vieux monde possède son âme… Savez-vous ce que cela signifie ?

— Non.

— Eh bien, moi si ! » Il fit claquer ses mains de chaque côté de Rhapsody, la faisant sursauter. « Contrairement à vous, j’ai vécu ce que subit Ashe. Je n’ignore pas ce que ressent celui dont un élément est entre des mains démoniaques. Il ferait n’importe quoi, il trahirait n’importe qui, pour conserver le reste. Je ne l’en blâme pas, notez bien. Si vous parliez de moi et non de lui, vous ne devriez pas non plus m’accorder votre confiance.

» Je vous l’ai déjà expliqué. Le F’dor possède ses victimes de différentes façons. Ashe n’a pas besoin de l’avoir en lui pour être son esclave. Ces démons se contentent parfois d’implanter une suggestion dans l’esprit d’une personne qui ne se doute de rien, le temps qu’elle accomplisse telle ou telle action. Ils peuvent contrôler leur victime, voir par ses yeux, lui imposer toutes leurs volontés sans pour autant lier leur esprit à ce corps matériel. Il en découle que tout individu est suspect. Que cela vous dépasse m’étonne et me désole.

» Il est déjà suffisamment ennuyeux que vous continuiez d’adopter des orphelins qui ont pu croiser le chemin de la bête. Les Firbolgs et même les rejetons de Stephen sont probablement inoffensifs, mais Jo se trouvait dans la Maison du Souvenir, si vous n’avez pas oublié. Elle était prisonnière du Rakshas. Qui pourrait déterminer si le F’dor l’a ou non asservie ? »

Rhapsody tremblait. « Je le sais. Ce n’est pas le cas. Pourquoi était-elle là-bas ? Ils comptaient l’immoler, faire couler son sang avec celui de tous ces enfants. Pourquoi le F’dor ou le Rakshas auraient-ils gaspillé leur temps, leur énergie et leur force vitale pour posséder une fille qu’ils avaient l’intention d’égorger peu après ? »

Un argument qui n’apaisa en rien la fureur de son interlocuteur. « C’est uniquement pour cette raison que je vous ai autorisée à la prendre avec nous. Ce qui dénote d’ailleurs un manque de bon sens impardonnable.

— Comment pouvez-vous dire une chose pareille ? Je croyais que vous aviez de l’affection pour elle ?

— C’est exact, et le fait que vous souleviez un pareil argument démontre que vous n’êtes pas consciente des dangers. Amour et amitié sont des concepts sans signification, ici, sans aucune signification. Être confronté au F’dor est bien pire qu’être confronté à la mort.

» Je sais que vous aimez Jo, tout comme Grunthor. Il n’empêche que je me reproche constamment de ne pas lui avoir tranché la gorge la première fois qu’elle a, par sa stupidité, compromis notre sécurité. Elle a commis tant d’imprudences, tant en votre présence qu’en votre absence, que je commence à penser que ce n’est pas fortuit, qu’il existe une raison qui nous échappe. S’il s’avère que j’ai vu juste, les conséquences rendront par comparaison la destruction de Serendair sans gravité. Et ces conséquences seront éternelles… la mort ne pourra y mettre un terme.

— Pour l’amour des dieux, Achmed ! C’est une adolescente ! N’avez-vous jamais rien fait d’écervelé ou de malencontreux à son âge ?

— Non. Et là n’est pas la question. Rien n’empêche le F’dor ou son serviteur de posséder un adolescent, un enfant en bas âge ou le jeune imbécile séduisant qui passe dans la rue et laisse tomber une fleur juste devant vous. Il peut s’agir de n’importe qui, Rhapsody, n’importe qui.

— Mais pas tout le monde, Achmed. Nous sommes tôt ou tard contraints de choisir notre camp, d’intervenir. Nous ne pouvons pas nous dissimuler constamment, rester coupés de tout jusqu’à la fin des temps. S’il y a de la vérité dans les mythes qui se rapportent à une forme de vie hideuse dont la longévité est proche de l’immortalité, l’affronter sera un jour inévitable. En outre, si vous croyez qu’une personne pour laquelle vous avez de la sympathie risque d’être possédée par le F’dor, ne vous sentez-vous pas l’obligation morale de tenter de la sauver de la damnation ? De recouvrer tout élément de son être que détient ce démon ? »

Achmed se détourna et passa avec irritation la main dans ses cheveux. « Vous ne parlez pas de Jo, n’est-ce pas ? Vous vous référez une fois de plus à Ashe. Je n’étais pas conscient que vous le jugiez sympathique.

— Nous pouvons l’aider en retrouvant et en tuant le F’dor Nous sommes les seuls à en avoir la possibilité. Vous souvenez-vous de la prophétie citée par Llauron ? N’avez-vous pas encore compris ? Nous sommes les Trois. Que vous soyez l’Enfant du Sang est évident. Grunthor est l’Enfant de la Terre, vous le savez aussi. Et je suis lirin, c’est ainsi qu’ils nous nomment… les Fils et Filles du Ciel. Nous formons ce trio, Achmed, notre venue a été annoncée. »

Il pivota sur ses talons pour la foudroyer du regard. « Et nous devrions agir en fonction de ce qu’un devin cymrien à l’esprit plus ou moins dérangé a un jour annoncé ? Vous voudriez aller battre la campagne avec insouciance pour débarrasser le vaste monde du mal que les gens attirent sur leur tête ? De quelles garanties disposons-nous ? Qui nous prouve que nous ne serons pas ses prochaines victimes ?

— Qui nous dit que ce n’est pas le destin qui nous guette, quoi que nous fassions ? Croyez-vous que le F’dor ne connaît pas notre existence ? Vu qu’il est venu à bord d’un navire cymrien, il est probable que son premier hôte – et bon nombre des suivants – a été un Cymrien. Il a dû assister à des conseils, prendre connaissance des prophéties. Sans tenir compte d’une rencontre fortuite, les probabilités sont grandes pour qu’il cherche à nous détruire parce qu’un devin cymrien à l’esprit plus ou moins dérangé l’a un jour annoncé. Oubliez Ashe, oubliez Llauron. Nous devons le tuer pour assurer notre salut.

— Elle a raison, m’sieur », intervint Grunthor depuis l’angle dans lequel il s’était retiré pour fuir l’agitation de leur discussion, ce qui les fit sursauter tous deux. « Il se tapit quelque part et nous seuls pouvons l’occire. Autant l’embrocher et en être débarrassés une bonne fois pour toutes. J’voudrais pas passer le reste de mes jours à surveiller mes fesses. »

Achmed le dévisagea et finit par hocher la tête, avant de foudroyer Rhapsody du regard.

« Entendu. Prendre les devants est effectivement l’option la plus sage. Alors, quels sont vos projets ?

— Je compte faire venir Ashe à Elysian, seul, pour lui remettre la bague. Dès qu’il sera guéri, nous pourrons nous lancer à la poursuite du Rakshas.

— Pourquoi ne pas le convoquer ici ? »

Rhapsody pensa à l’éloignement qu’Ashe avait toujours souhaité maintenir entre eux.

« Parce qu’il n’acceptera jamais. Il ne se rendra qu’en un lieu où il se sait en sécurité. La cascade d’Elysian est parfaite pour brouiller les ondes qu’il diffuse et empêcher quiconque en serait capable d’en localiser l’origine.

— Ce serait bien trop risqué pour vous, grommela Achmed. Il n’y a pas un seul tube acoustique qui descend jusqu’en Elysian. Vous ne pourriez pas réclamer de l’aide, en cas de besoin.

— Vous oubliez l’amplificateur naturel du belvédère. Croyez-moi, Achmed, vous m’entendrez si je vous appelle à la rescousse.

— Je n’en doute pas, mais nous n’aurons pas la possibilité d’intervenir avant qu’il ne vous arrache tous nos secrets par la force. »

Ce fut avec une expression bien plus douce que la sienne qu’elle lui retourna son regard accusateur.

« Je ne lui permettrai jamais de vous nuire, Achmed. Ma loyauté va, avant toute chose, aux membres de ma famille. » Elle sourit à Grunthor et respira plus aisément après avoir vu sur sa face un rictus équivalent au sien. « C’est en partie pour cette raison que je vous ai aidé à soumettre les Terres des Bolgs. Oh, vous n’aviez nul besoin de mon assistance, mais avec un peu de chance les Bolgs correspondront un peu mieux à la vision que vous avez de leur nation ! Les Cymriens unifiés ne représenteront pas pour eux une menace, surtout si j’ai vu juste en ce qui concerne Ashe. Les deux peuples s’allieront. Il sera conscient d’avoir une dette envers vous. Et si je me trompe à son sujet, je prends l’engagement de le tuer de mes mains.

— Nous verrons.

— Nous devons toutefois lui apporter notre aide sans réclamer la moindre contrepartie, faute de quoi elle perdrait toute valeur.

— Il m’arrive de regretter que vous confondiez négociations stratégiques et vils marchandages sur un marché, Rhapsody. Je juge acceptable de ne pas réaliser une bonne affaire, à l’occasion. »

Elle se pencha vers lui pour déposer un baiser sur sa joue.

« Puis-je en conclure que vous m’autorisez à l’aider ?

— Vous êtes une adulte. Vous n’avez nul besoin de ma bénédiction.

— Mais nous assisterez-vous ? »

Achmed lui adressa un étrange sourire. « Oui. Mais je ferai cela uniquement pour vous, pas pour lui. Maintenant, avant que vous n’invitiez ce sot imbu de lui-même sur mes terres, j’aimerais que vous m’aidiez à régler une autre question. Ouvrez une des bouteilles que vous nous avez apportées et prêtez-nous une oreille attentive pendant que nous vous parlons du Loritorium.

Prophecy, Deuxième Partie
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